Interview de Michel Debray, par Stéphie.

Publié le par La Liberté des Sens

 

 

Stéphie : Bonjour à vous et merci d’avoir la gentillesse de partager quelques instants avec moi. Pouvez-vous, en quelques mots, vous mettre à nu ? !

  

Michel Debray : J’aurai 66 ans en novembre prochain. Je suis donc du signe du Scorpion. Je revendique ma picarditude. La sexualité est au fond la seule chose qui m’intéresse car le sexe, c’est la Vie. Rien n’est sacré en dehors de la Vie. Un monsieur en pagne, crucifié, est pour moi une icône mortifère. Il n’y a rien après la vie, rien de plus que ce qu’il y avait avant la naissance. Pas de salut, pas d’évangile, pas de bonne nouvelle, pas de karma. Il n’y a que cette vie. Fugitive. Dont nous devons faire une sorte d’œuvre d’art grâce à l’amour, au sexe et à une certaine morale personnelle. Je me définis comme libre, libertaire et libertin au sens où on l’entendait au Siècle des Lumières.


 

Stéphie : Vous avez une passion, peut-être un don même : la peinture !
Peindre c’est beaucoup de plaisir pour vous ? Parlez-nous des émotions que vous éprouvez devant une toile encore vierge… Je parle bien de la toile hein, et non pas du modèle ! 

 


Michel Debray : Devant une toile blanche, comme devant une page blanche, la première réaction c’est la fuite ! D’abord parce que je suis paresseux (moyennant quoi, je suis très actif et très occupé !) et parce que j’ai le trac. Je suis figuratif, souvent attaché à la ressemblance, cela suppose donc un travail, un effort, une concentration. Cependant, peindre est une expérience physique. Je peins debout. Souvent nu l’été. Autrefois je peignais d’une traite, dans le frais, quasiment jusqu’à épuisement. Désormais, la découverte des glacis colorés superposés m’oblige à attendre que le séchage de chaque couche soit achevé. Pour ne pas être frustré dans mon plaisir sensuel de peindre (l’odeur des pigments, des vernis, des médiums, la force de la couleur, les caresses du pinceau ou de la brosse), je commence plusieurs toiles en même temps et je les travaille presque simultanément…

 

 

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Stéphie : En dehors du fait d’avoir une reconnaissance de votre travail qu’est-ce qui vous a motivé à créer votre propre site ? !

 

 
Michel Debray : Le web a été pour moi une divine surprise. Pendant un transport, les toiles souffrent peu ou prou. Les rapports avec les galeristes ou ceux qui prétendent aider les arts sont souvent conflictuels : lieux inadaptés, accrochages calamiteux, éclairage crépusculaire etc. En créant mon premier site, j’ai créé ma propre galerie puis, comme tout ce qui est dans la logique du vivant (biologique) tout ça s’est complexifié, a créé des pseudopodes (sites annexes et blogs). Il me faudrait quasiment un ou une auxiliaire « administratif » pour s’occuper de cette activité afin de me laisser davantage de temps pour peindre. Mais bloguer est une forme de création qui mêle l’image et le texte, ce qui est pour moi un bonheur…

  


 
Stéphie : J’écris pour un webzine libertin. Êtes-vous vous-même libertin ? ! Et si oui, est-ce la peinture qui vous a amené à libertiner, ou est-ce le libertinage qui vous a rattrapé au travers de la peinture ? ! Question difficile et que l’on se pose éternellement : qui de l’œuf ou la poule en somme ! Mais peut-être n’y a-t-il pas de lien, de cause à effet … Dans la négative, quel regard portez-vous sur les libertins ? !

 
Michel Debray : Je dessine et je peins depuis tout-petit. Dans ma jeunesse, la rencontre artistique avec les Expressionnistes nordiques et avec Clovis Trouille m’a orienté vers une peinture de l’angoisse, de la révolte et de la provocation. Après une longue névrose anxieuse que j’ai pu conjurer grâce à la  peinture, la littérature et une psychanalyse, j’ai cessé peu à peu de rendre sur ma toile des images mentales qui se sont taries. Dès lors, j’ai réalisé des portraits et des nus. C’est grâce à l’invitation d’un club libertin que j’ai vraiment découvert ce monde. Pour des raisons générationnelles, nous avions jadis connu les tentatives d’amour libre qui n’excluaient pas les sentiments pas plus que les crises au sein des couples… Il s’agissait d’une véritable tentative utopiste d’inventer de nouveaux rapports amoureux et sexuels. Les femmes y ont gagné en émancipation. Les hommes, en « féminité ». Il y aurait beaucoup à dire sur le sujet mais ce n’est pas le lieu.

Un premier modèle amateur m’a offert son corps magnifique. Ma compagne fut et reste cependant mon principal modèle. De fil en aiguille, j’ai eu d’autres modèles, libertines ou pas, à qui je demandais d’aller plus loin quand elles le pouvaient. Ce fut l’occasion de découvertes et d’aventures plus ou moins avancées. Comme dans tous les milieux, je trouve que les femmes sont beaucoup plus audacieuses, courageuses, sensibles que les mecs qui croient tout diriger alors qu’ils ne sont souvent que des pantins manipulés par leur propre et misérable ambition. Les véritables hystériques ne sont pas là où on les attend…

 

 



Stéphie : Tout cela me semble parfaitement vécu ! Pour autant, dans toutes choses nous pouvons trouver son contraire ! Peindre cela suppose des concessions, des contraintes ? ! Si oui de quel ordre vous concernant? ! 

 

Michel Debray : Le sexe, quoiqu’on en dise, reste un tabou absolu. C’est aussi le dernier lieu de la vraie liberté. A moins qu’on mette un flic dans chaque lit… On voit bien que les pouvoirs n’ont de cesse de réprimer la sexualité. Partout. A chaque époque. Si des adultes consentants me demandent de les peindre dans les actes les plus pervers, cela ne me dérange pas. Je suis, par essence, curieux de la sexualité humaine qui a inventé l’érotisme ce qui nous distingue des animaux lesquels n’ont pas une culture mais une nature. La nature d’ Homo sapiens demens comme le dit joliment Edgar Morin, c’est d’être culturelle. Je peins avec juste un petit talent de coloriste (je ne suis pas un grand dessinateur) librement ce que j’ai envie de peindre. Je suis ouvert à l’aventure, à la découverte. Les corps féminins et leurs atours me sont un éternel enchantement. Que je sois censuré, insulté, vilipendé m’est indifférent. Et venant de certains, cela m’apparaît parfois comme des compliments. Ma peinture a, de toutes façons, une force qui lui fera résister à l’assaut du temps. Qu’une de mes toiles plaise à UNE femme et je suis récompensé. Face à l’absurdité et à la beauté tragique et superbe de la vie, je suis désormais tranquille et serein.  

 
Stéphie : A froid, diriez-vous que cette passion est un plus pour et dans votre couple ? !


Michel Debray : Ma compagne a aimé l’homme autant que l’artiste. Elle est mon meilleur « agent » même si je la presse de prendre tout à fait en main cette activité de « promotion ». Je lui demande toujours son avis sur ce que je peins ou écris. Dès le début – c’était avant 1968 – nous avions passé un accord à la Sartre-Beauvoir basé sur le refus des mensonges, de l’hypocrisie et du renoncement à l’aventure des possibles. Aussi ne nous sommes-nous presque rien interdit l’un et l’autre, l’un à l’autre, l’un pour l’autre. Réussir une vie, une histoire libertaire d’amour, c’est une sorte de travail, de construction, de vigilance de tous les jours. Et ce n’est qu’à son terme que l’on sait si l’on ne s’est pas trop trompé.

 

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Stéphie : Plus d’une femme aimerait être croquée par un pinceau ! Mais peu se lancent dans cette belle aventure qui est la vôtre ! Auriez-vous un conseil à leurs donner ? !


Michel Debray : La relation peintre-modèle est unique, singulière, spécifique. Elle peut être très différente du sempiternel cliché concernant l’appétit sexuel des artistes abusant de leur modèle. Il s’agit le plus souvent d’un vrai travail de pose, souvent éreintant pour les deux protagonistes. Il se peut que le désir soit là. Il se peut qu’il y ait passage à l’acte, mais dans ce cas cela se passe au « feeling », dans la complicité et la connivence partagées…

 Une femme peut avoir son mari, son amant et de la même façon son photographe, son peintre, son sculpteur. Il y a un jeu subtil de séduction, de soumission, d’offrande, comme dans l’acte amoureux. Même s’il ne se passe rien, comme on dit. Mais mon œil exercé repère les modifications physiologiques pendant la séance. Celles qui m’ont fait l’honneur et la grâce de poser pour moi étaient presque toutes novices en la matière. Leur rapport à leur corps, à leur féminité, à leur séduction en a été changé. Il s’agit parfois d’une vraie thérapie...

 

 

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Pour conclure, je dirai que c’est par amitié pour Stéphie (qui sera bientôt mon modèle, je l’espère)  que j’ai accepté cette interview.


 

 

Publié dans Lui

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